mardi 10 novembre 2009

Histoires de l'opéra chinois: Les quinze sapèques


Les quinze sapèques : une oeuvre déjà adaptée par Wang Hongli (voir post sur cet auteur), ici reprise par Li Chengxun et Sun Yu en 1959.

dimanche 8 novembre 2009

Histoires de l'opéra chinois: 戏剧故事

Voici une série éditée par les Editions populaires d'Art de Pékin dans les années soixante. Il s'agit d'adaptations d'opéras chinois. C'est le genre d'ouvrages dont la diffusion s'est brutalement arrêtée pendant la Révolution Culturelle, en raison de leur contenu idéologique jugé réactionnaire et de leur lien avec un passé condamné au nom de l'éradication des "Quatre Vieilleries" . En réalité, leur vocation était beaucoup plus pédagogique que politique: d'une part, ces petits livres constituaient d'excellents moyens de diffuser une culture d'essence savante, tout comme les opéras dont ils étaient tirés à leur époque. En outre, leur réalisation avait été confiée aux meilleurs artistes de l'époque. Série de prestige, donc, avec de somptueuses couvertures et une impression particulièrement soignée, mais aussi série innovante, dont plusieurs volumes ont constitué d'importantes étapes dans l'évolution du lianhuanhua. Pour commencer, voici quelques couvertures.














mercredi 4 novembre 2009

La révolution culturelle: entre graphisme révolutionnaire et tradition picturale

Durant la Révolution Culturelle, le graphisme du lianhuanhua revisite l'esthétique du réalisme socialiste, inspirée par le jdanovisme, qu'elle adapte aux nouveaux crédos révolutionnaires. Les personnages principaux, soldats ou petits paysans au visage carré et puissamment bâtis, figurent systématiquement au centre de l'image dans des poses héroïques. Ils se détachent de la masse du peuple, qui elle se caractérise par son indistinction et la disparition de l'individu dans le collectif.


Sur l'image, les paysans se confondent avec le décor tandis que les symboles révolutionnaires (drapeaux puis slogan: 农业学大寨: "Que l'agriculture suive l'exemple de Da Zhai" à l'arrière-plan*) sont mis en valeur. En écho au slogan de Lénine ("Le communisme ce sont les Soviets plus l'électrification"), on note la présence des pilônes électriques, symbolisant le confort matériel que le Parti assure aux masses paysannes. C'est vers ce symbole du progrès que convergent les personnages mais également le regard du lecteur.
* Da Zhai était un village érigé en modèle pour sa productivité durant les années soixante, à l'instar de l'ouvrier Stakhanov en Union Soviétique. Ce slogan est présent sur de nombreuses affiches de l'époque.


Après 1973, les livres traitant de la Chine antique et impériale font leur retour, mais l'esthétique qui prévaut reste la même. Les héros, à la musculature hypertrophiée et au regard révolté, sont des rebelles et des révolutionnaires qui adoptent les mêmes poses que dans le lianhuanhua de 1966. A travers eux, c'est le Parti et l'idéal communiste qui sont exaltés.













Cependant, avec le retour des campagnes d'un certain nombre de dessinateurs, cette esthétique évolue et le graphisme retrouve un certain nombre de traits hérités de la tradition picturale chinoise. Dans ce lianhuanhua sur la guerre du Vietnam, la contre-plongée et le jeu sur les pleins et les vides sont directement inspirés de l'art du pinceau gongbi et typiques de cette tradition.








Vers 1975-1976, le lianhuanhua amorce un retour vers la tradition et l'esthétique des années cinquante et soixante, même si les sujets (comme ici la révolte des Taiping, célébrée par le Parti) demeurent dans la limite de la plus stricte orthodoxie idéologique.

dimanche 25 octobre 2009

La fin de la Révolution Culturelle

En 1970, Zhou Enlai relance la production de bandes dessinées, qui s'était considérablement étiolée à la fin des années soixante. Des rééditions de classiques des années cinquante et soixante sont à nouveau autorisées (tels que Maître Dongguo ou Le Roi-singe et la sorcière au squelette) et l'emprise esthétique se desserre et permet aux auteurs, dont certains sont revenus des campagnes (pas tous), de retrouver une certaine marge de manoeuvre, surtout à partir de l'année 1974. Le carcan idéologique, lui, reste plus fort que jamais et laissera une empreinte durable jusqu'en 1979, année où commence la véritable renaissance de la bande dessinée chinoise traditionnelle. Tous les auteurs sont obligés d'y sacrifier, à commencer par He Youzhi, qui signe un virulent pamphlet anti-confucianiste (voir scan ci-dessous). Enfin, et c'est un signe qui ne trompe pas, la matière antique et impériale, complètement disparue jusque-là, réapparaît progressivement dans des oeuvres célébrant la révolte et la lutte contre la tyrannie, allusions transparentes à des luttes révolutionnaires plus contemporaines.






















Révolution Culturelle: martyrs et héros d'opéras

Au tournant des années soixante la bande dessinée chinoise, comme le reste de la production artistique, est contrainte de se plier aux diktats de Jiang Qing, la remuante épouse de Mao, qui érige l'opéra révolutionnaire en modèle absolu pour les autres arts. Le champ d'expression du lianhuanhua, déjà singulièrement limité par le jdanovisme, s'en trouve considérablement réduit. Dans les arts vivants (théâtre, opéra), au cinéma et également dans la bande dessinée seuls huit opéras révolutionnaires, narrant la geste révolutionnaire, peuvent constituer le sujet d'une oeuvre, avec les biographies de héros et martyrs de la Révolution.









Le Détachement féminin rouge est l'oeuvre révolutionnaire la plus célèbre de cette époque. Sur l'île de Hainan, sous le règne du Guomindang, un groupement de combattantes va affronter de féroces propriétaires terriens et des soldats corrompus. Le graphisme est empreint d'un manichéisme volontaire. Au centre de chaque page et de chaque vignette, le héros, entouré des symboles du parti, est représenté avec un physique avantageux, au contraire des ennemis de classe, qui eux, se distinguent par leur laideur voire leur aspect quasi-animal.

L'oeuvre, d'abord un opéra révolutionnaire, est adaptée en bande dessinée par les plus importants éditeurs de lianhuanhua. Les différentes versions, qui reprennent intégralement la chorégraphie originale, se multiplient tout en respectant scrupuleusement l'orthodoxie idéologique et esthétique liée à l'oeuvre.







Couverture de la bande dessinée éditée en 1970 par les éditions de Tianjin, photo d'une représentation de l'opéra du même nom. Edition comprenant comme il se doit une préface de Mao ainsi que la partition de l'hymne révolutionnaire qui scande cet opéra.

Norman Bethune était un médecin canadien, compagnon de la Longue Marche (d'ailleurs décédé durant celle-ci), érigé en martyr de la cause. Plusieurs bandes dessinées, d'abord parues dans les années cinquante, puis à partir de 1966, lui sont consacrées. D'autres martyrs révolutionnaires deviennent les sujets exclusifs des lianhuanhuas de cette époque: Liu Hulan (jeune révolutionnaire exécutée par le Guomindang), Lei Feng (soldat et communiste modèle, encore encensé par la propagande de nos jours) , Shen Xiyou (soldat modèle également, voir post précédent). Un sous-genre se développe même: celui de l'enfant-martyr, dévoué corps et âme à la cause et au Grand Timonier, qui meurt pour le Peuple et la Révolution, le prototype étant Liu Wenxue, dont la vie (et surtout la mort), encore louées pour leur exemplarité dans certaines écoles de Chine Populaire, constituent le modèle archétypal de ces vies de martyrs enfantins de la cause. "Nous sommes les Gardes Rouges du Président Mao" dit le bandeau du deuxième livre présenté dans le post "Couvertures de la Révolution Culturelle". Le lianhuanhua, durant la Révolution Culturelle, devient un moyen d'embrigadement idéologique et un outil au service du culte de la personnalité maoïste.

Autres couvertures











Couvertures d'albums de la Révolution Culturelle






















Le lianhuanhua de la Révolution Culturelle

Le lianhuanhua après 1966 subit lui aussi sa révolution. Rappelons les faits: en 1966, Mao tente de reprendre la main après avoir été écarté du pouvoir, et lance la Grande Révolution Culturelle (文革), qui voit l'élite intellectuelle du pays prise à partie, envoyée en camp de rééducation et parfois éliminée. L'héritage confucianiste est vilipendé, ainsi que tout ce qui est lié à la civilisation occidentale (hormis ce qui a obtenu un certificat de bonne conformité marxiste). Le pays est assez vite plongé dans le chaos, et l'aventure se termine avec la mort de Mao en 1976, suivie de la chute de sa femme et du procès de la Bande des Quatre qui dirigeait alors le pays.



La bande dessinée chinoise de cette époque a elle aussi été entraînée dans le tourbillon révolutionnaire, et le carcan idéologique qui enfermait le lianhuanhua dans certaines limites idéologiques est devenu encore plus rigide, aboutissant à un arrêt de la production à la fin des années soixante.


Pour commencer, il existe deux périodes pour les collectionneurs: celle qui s'étend de 1966 à 1973, dite "grande Révolution Culturelle" (大文革), et celle qui va de 1973 à 1976, qualifiée de "petite Révolution Culturelle" (小文革).


Dans les faits, de nombreux dessinateurs ont été envoyés dans les campagnes après 1966, si bien que le nombre de publications a chuté de manière vertigineuse. Constitution d'ateliers collectifs avec des dessinateurs amateurs (et suppression du nom des auteurs), disparition des histoires appartenant à l'histoire antique et impériale de la Chine et obligation de ne traiter qu'un certain nombre de sujets autorisés (biographies de martyrs du maoïsme ou opéras révolutionnaires pour l'essentiel), enfin célébration jusqu'à l'écoeurement du culte de la personnalité de Mao, tels sont les changements radicaux intervenus dans la bande dessinée chinoise entre 1966 et 1970.

La page de titre de ce lianhuanhua ne mentionne aucun illustrateur: c'est seulement l'unité de production (constituée de dessinateurs non-professionnels) qui est créditée.





















Chaque bande dessinée commence par une citation de Mao, ici "Je chéris ce genre de slogans: un, ne pas craindre l'effort, deux ne pas craindre la mort".














A cette époque, les couvertures respectent certaines règles: personnages arborant le Petit Livre Rouge, bandeau (rouge ou blanc, c'est selon) pour le titre. C'est le cas pour tous les ouvrages, y compris pour cette histoire enfantine tirée d'un dessin animé:


















Ici, c'est un héros du communisme maoïste, Lei Feng, qui fait une apparition digne d'un arrhat ou d'un bodhisattva.


















L'apparition de Mao , en tête et en clôture de l'ouvrage est systématique. Le culte de la personnalité va d'ailleurs jusqu'à la déification. Ces représentations font souvent appel, comme dans l'image ci-dessous, à des photographies officielles.








































La vignette finale de ce lianhuanhua d'avril 1976 fait du Grand Timonier un soleil éclairant le prolétariat. Le culte de la personnalité à son comble, quelques mois avant la mort du dirigeant chinois (intervenue en septembre de la même année).

samedi 3 octobre 2009

Scan de Charlie, septembre 1977




Voici le scan d'un article de Charlie assez synthétique sur la bande dessinée chinoise.


































































Quelques mots sur Cheng Shifa

Voici quelques lignes sur Cheng Shifa, un artiste et auteur de lianhuanhua qui vient de disparaître il y a quelques semaines. Si j'en parle ce n'est pas seulement pour suivre l'actualité mais aussi parce que lui aussi , comme Wang Shuhui, est emblématique de ces artistes éclectiques, fortement marqués par la tradition picturale chinoise.



Cheng Shifa, le poète de la Chine des minorités

Connu pour l'adaptation d'un récit fantastique des Contes du pavillon des loisirs (聊斋) de Pu Songling, Cheng Shifa excelle aussi dans le domaine du conte folklorique et la peinture des minorités du sud-ouest de la Chine.Ebing et Sangluo (亚碧与山罗) est l'une de ces oeuvres, qui plonge dans le Yunnan de l’ethnie Dai.Pour présenter cet ouvrage je préfère céder ma plume à celle bien plus poétique et évocatrice de Jean-Pierre Diény, auteur d'un ouvrage sur le livre pour enfants en Chine, Le Monde est à vous (Collection témoins, Gallimard): "Comme autrefois les amants séparés Liang Shanpo et Zhu yingtai, Ebing et Sangluo périrent plutôt que de renoncer à un amour que leur interdisait la société féodale. Idéalement beaux et destinés l'un à l'autre par la rumeur publique, ils s'aimaient avant même de se connaître. Mais leurs mères, qui avaient en vue d'autres mariages, usèrent de force et de violence pour les séparer. Après la mort d'Ebing et le suicide de Sangluo, une liane unit leurs deux tombes, puis un jour, ayant pris feu, projeta deux étoiles au ciel, de part et d'autre de la Voie Lactée. La beauté du lavis est digne dans ce chef-d'oeuvre de la séduction du récit, qui passe de l'humour au pathétique et à l'horreur d'un ton direct et sans emphase.(...) La persécution qu'ils subissent apparaît comme un effet de l'obscure fatalité qui les voue à l'amour et à la mort. Le charme du récit tient d'ailleurs au mystère de ce destin, que rappellent à chaque page des pressentiments, des coïncidences ou des prodiges."
Autre oeuvre de Cheng Shifa, Le Geai à l'épingle de jade (姑娘与八哥鸟) s'inspire également du folklore des minorités chinoises:









































Traduit en français (parution aux Editions en langues étrangères en 1965) Le prince intrépide et la Princesse Nannona (召树屯和喃诺娜) est très proche des oeuvres précédentes: on y retrouve la trame narrative du conte, l'exotisme des paysages et des personnages ainsi que la délicatesse du lavis.






















Histoires à dormir debout


Une des oeuvres fétiches des illustrateurs et auteurs de lianhuanhuas est le recueil des Contes du pavillon des loisirs (聊斋). Trois collections de lianhuahuas y ont été consacrées, sans compter les ouvrages isolés qui eux sont innombrables. La Peau peinte (画皮) est l'un d'eux. Il conte la mésaventure du lettré Wang, séduit par une jeune beauté qui s'avère être un démon. La peau peinte est celle dont se revêt le démon (image du centre) afin de tromper le lettré. Sur l'image de droite, une ombre inquiétante (celle du démon) se dessine derrière la silhouette de l'accorte jeune femme. Seule l'intervention inopinée d'un sage taoïste sauvera l'imprudent Wang! Autre ouvrage d'histoires fantastiques, Les Histoires où l'on n'a pas peur des fantômes (不怕鬼的故事) sont parues dans une édition agrémentée de plusieurs hors-texte de l'artiste dont voici la couverture (en traduction anglaise pour les Editions en langues étrangères):L'artiste y abandonne le lavis pour le dessin à l'encre de Chine.
























Enfin, pour clore cette présentation, encore un mot au sujet du Roman de l'épée audacieuse (胆剑篇. Il ne s'agit plus d'illustration mais d'un véritable lianhuanhua à l'encre de Chine. La veine est épique et la manière totalement renouvelée par rapport aux œuvres précédentes.Cette brève présentation est loin de résumer l'immense production de Cheng Shifa, qu’il s’agisse de sa production de lianhuanhuas ou de son œuvre picturale, encore plus abondante. Elle vise simplement à donner un avant-goût de la poésie toute bucolique et empreinte de délicatesse de cet artiste.

Maître Wang Shuhui, dessinatrice de lianhuanhua

Wang Shuhui: l'art du lianhuanhua porté à sa perfection.


Wang Shuhui s'est éteinte en 1985, laissant derrière elle une oeuvre singulière, d'abord par son esthétique, son style immédiatement reconnaissable, au trait assuré et plein, à la ligne ferme et harmonieuse, aux compositions alternant vides et pleins selon les règles de la peinture chinoise traditionnelle également appelée Guohua (国画). C'est d'ailleurs là que Wang Shuhui puise son inspiration, sans les complexes qu'ont pu connaître les auteurs de bandes dessinées occidentaux vis-à-vis de leur propre tradition artistique. Le lianhuanhua est un genre qui a joui très vite d'une certaine légitimité en Chine, recevant dès les années 30 la caution d'écrivains reconnus tels que Mao Dun et même Luxun (auteur de plusieurs articles prenant la défense du genre, et le comparant à l'art du vitrail dans les cathédrales gothiques). Dès 1950, un an après la fondation de la République Populaire de Chine, le pouvoir réunit les meilleurs artistes et leur enjoint de se lancer dans la production de lianhuanhuas à destination du peuple afin d'éduquer les masses. Quelques-uns sont autodidactes, comme He Youzhi, d'autres ont fait leur apprentissage dans les ateliers d'avant-guerre (c'est le cas de Qian Xiaodai), certains enfin ont été formés dans des écoles de beaux-arts. Wang Shuhui, elle-même diplômée de l'Institut des Beaux-Arts de Pékin, est alors une artiste expérimentée, qui exerce depuis vingt ans déjà en tant que peintre de Guohua et professeur d'arts plastiques. Malgré une production prolifique (un millier de rouleaux), elle ne retient aucune oeuvre de ces vingt années, dont les conditions matérielles difficiles lui ont imposé un travail essentiellement alimentaire.



Si les sujets contemporains (hagiographies de travailleurs héroïques, récits sur la vie rurale) ont la faveur du Parti, les auteurs de lianhuanhuas ont cependant la faculté de choisir leur matière et de se forger leur propre style graphique, loin des canons imposés par le réalisme socialiste jdanovien alors en vogue en URSS. Liberté de création (évidemment dans les limites du dogme maoïste) et indépendance matérielle (les artistes sont des salariés) expliquent l'essor qualitatif du lianhuanhua à cette époque. Pour Wang Shuhui, c'est la possibilité de produire selon son goût, de perfectionner et d'approfondir son art tout en renouant avec l'héritage du Guohua qu'elle entend faire renaître et dépasser dans le cadre de cette nouvelle bande dessinée chinoise.
La figure de la femme comme inspiration.Cette singularité s'affime également dans le choix de ses sujets: Wang Shuhui, femme dessinatrice dans un univers essentiellement masculin, représente principalement des personnages de femmes: héroïnes guerrières (Mulan, les veuves du clan Jiang), amoureuses bafouées dans leur passion contrariée (Le dit du Pavillon de l'Ouest, Les Paons volent vers l'est rebaptisé dans sa traduction française Les amants fidèles à leur serment, Liang Shanpo et Zhu Yingtai ou la légende des amants papillons, équivalent chinois de notre Tristan et Iseult). Cette prééminence des personnages féminins est l'autre trait distinctif de son oeuvre.

Un parcours éclectique

Le premier lianhuanhua signé de Wang Shuhui raconte l'histoire de Hua Mulan, la célèbre héroïne chinoise qui dut se travestir en homme afin d'éviter la conscription à son père, et qui par son génie militaire parvint à vaincre les hordes barbares aux marches de l'empire. Les deux oeuvres suivantes puisent aussi leur inspiration dans la Chine ancienne: Dame Mengjiang (孟姜女) et Mozi sauve le royaume de Song (墨子救宋) en 1951. Suivent des oeuvres de propagande, genre auquel elle sacrifie pendant trois années. L'année 1954 est particulièrement féconde en chefs-d'oeuvre: Les paons volent vers l'est (孔雀东南飞), récit d'une tragédie amoureuse, ainsi que la fameuse légende des amants papillons : Liang Shanpo et Zhu Yingtai (梁山泊与祝英台), mais surtout la première mouture (en couleur) du Pavillon de l'ouest (西厢记), oeuvre qu'elle va s'attacher à reprendre dans une version beaucoup plus longue en noir et blanc.

Le Pavillon de l'ouest (西厢记)

Artiste exigeante et perfectionniste, elle met plusieurs années pour achever cette seconde mouture du Pavillon de l’ouest, qui paraît en 1957 dans la collection des Histoires de l'opéra de Pékin (京剧故事) des Editions d’art du peuple. Inspiré d'un opéra célèbre de la dynastie Yuan, l'ouvrage raconte les amours malheureuses de Cui Yinyin et Zhang Junrui. L'oeuvre est couronnée dans les années soixante lors du premier festival de lianhuanhua de l'histoire de la jeune république. Sa réussite est telle que sa renommée dépasse le cadre de la bande dessinée, et les meilleurs maîtres contemporains du guohua se mettent alors à considérer l’auteur comme l'un des leurs. Il est d'ailleurs courant de l'appeler Monsieur (qu'il faut entendre comme Maître: 先生) Wang Shuhui dans les articles qui lui sont consacrés.

Les Cartes de la vie et de la mort (生死牌), un lianhuanhua sous le signe de l'opéra .

La dernière oeuvre de l'artiste avant la Révolution Culturelle est un livre en couleur, adapté d'un opéra classique du Hunan. Les Cartes de la vie et de la mort (生死牌), récit d'une erreur judiciaire réparée par les bons soins d'un fonctionnaire intègre, paraît en 1962, et rompt délibérément avec tout réalisme. Les décors sont à peine esquissés, et se résument parfois à un fond noir, les personnages sont ceux de l'opéra chinois dont ils portent les costumes et les masques. Les codes et la trame dramaturgique de l'oeuvre appartiennent à ce même univers. Chaque image est un tableau et le tout se situe à la frontière entre lianhuanhua et illustration. Expérience esthétique originale, et qui s'écarte des codes de la bande dessinée ainsi que des oeuvres précédentes de l'artiste, cet ouvrage constitue une tentative intéressante de renouveler un genre par un autre. C'est aussi pour Wang Shuhui une manière de renouer avec un art qui la fascine depuis l'enfance, au point qu'elle ait envisagée dans son adolescence d'en faire son métier.
Un long sommeil créatif

En 1966 éclate la Révolution culturelle, dont on pouvait ressentir dès 1964 les signes avant-coureurs sur le plan artistique. Depuis quatre ans, Wang Shuhui n'a plus rien produit à part une biographie d'ouvrière modèle commencée dans les années soixante et qui ne paraîtra qu'après sa mort, en 2001. En 1966 donc, les lianhuanhuas jugés réactionnaires ou censés offrir une présentation trop séduisante du passé impérial sont passés au pilon. En août de la même année, les librairies sont fermées. C'est le début d'un très long silence.


Après la longue parenthèse traumatisante de la Révolution Culturelle, il faut encore attendre quelques années pour lire les rééditions de ses oeuvres. Parallèlement à celles-ci paraissent en 1978 Les Veuves du clan Jiang (杨门女将), un de ses livres les plus achevés, qui retrace l'histoire des femmes d'un clan dont les hommes sont tous de brillants militaires. Ces guerrières, à la mort de leurs maris, réussissent à remplacer ceux-ci au combat et remportent de fulgurantes victoires. Inaugurant une nouvelle manière de l'artiste, l'oeuvre, toujours dessinée à l'encre de Chine, est dominée par un trait épuré, une alternance de pleins et de vides ainsi qu'un mouvement plus vif dans la narration. Après cette réussite Wang Shuhui se lance dans un sujet qui lui tenait à coeur depuis longtemps : un recueil autour des personnages du Rêve dans le pavillon rouge (红楼梦), roman qui figure parmi les plus grands classiques de la littérature chinoise. Dès 1957 elle en avait dessiné quelques pages mais l'oeuvre avait été perdue par la faute d'une employée de maison d'édition maladroite. Décor d'une riche demeure de la Chine impériale, personnages féminins à la complexion délicate, récit d'un amour contrarié sur fond de chronique sociale (la vie d'une riche famille dans la Chine du 18ème siècle), tous les thèmes fétiches de l'artiste sont réunis. Malheureusement, Wang Shuhui disparaît avant d'avoir achevé ce projet, dont il ne subsiste que quelques feuillets.
Auteur peu prolifique (21 oeuvres en 31 ans), Wang Shuhui a néanmoins marqué de son empreinte le lianhuanhua et lui a donné quelques-uns de ses principaux chefs-d'oeuvre.


Bibliographie

Malheureusement il n'existe que très peu d'ouvrages de Wang Shuhui traduits en français ou en anglais: Les amants fidèles à leur serment, Editions en langues étrangères, Pékin, 1957.Le Pavillon de l'ouest, Editions en langues étrangères, Pékin, 1958.Ces éditions sont pratiquement introuvables actuellement, même en Chine. Si vous lisez le chinois, en revanche, il est possible de se procurer ses principales oeuvres en réédition auprès des Editions d'art du peuple (人民美术出版社). En 2002 est parue une magnifique édition de luxe comprenant:Le Pavillon de l’ouest (西厢记, version de 1954 en couleur et version de 1957 à l'encre de chine),Les Amants fidèles à leurs serments (孔雀东南飞),Liang Shanpo et Zhu Yingtai (梁山泊与祝英台),Les Veuves du clan Jiang (杨门女将).Enfin, sur l'art de Wang Shuhui, un livre en chinois fournit quelques clés d’interprétation et quelques analyses intéressantes : 中国现代名家画谱,王叔晖, 人民美术出版社,2001。

Liens internet:

Un lien vers la page consacrée à Wang Shuhui sur le site des Editions d'art du peuple:


Vous pourrez y admirer quelques images tirées du Xixiangji en couleur.

Sur le site de Cartoonwin (http://www.cartoonwin.com/) vous trouverez quelques articles en chinois sur Wang Shuhui.

mercredi 23 septembre 2009

Le Roi-Singe (deuxième partie)

Revenons donc à l'espiègle Sun Wukong et à sa pittoresque compagnie: le moine Tang Seng, Zhu Bajie (prononcer Djou Ba Tié), porc glouton et graveleux sans oublier Sha Seng le moine Sable. Leurs pérégrinations ont inspiré de nombreux auteurs de bande dessinée chinoise. Dès les années 20 un lianhuantuhua (récit en images) met en scène les aventures du Roi-Singe. Les dessins ont les qualités et les défauts du lianhuanhua de cette période: spontanéité et fraîcheur du trait, narration parfois décousue et inspirée des codes de l'opéra, surabondance des symboles à l'attention du lecteur comme si la représentation graphique était insuffisante.



L’un des artistes qui a le mieux su tirer parti de cette oeuvre est Liu Jiyou (刘继友), selon beaucoup le père du lianhuanhua moderne. A travers trois récits tout aussi inventifs que variés il a su renouveler le thème du Roi-singe en explorant un aspect souvent occulté du personnage: la cruauté animale du héros, son absence de mesure et sa violence effrénée. Dans ces livres Wukong a l'aura d'une créature éprise de liberté et de justice, rebelle à la tyrannique hiérarchie céleste.


C'est dans Le Roi-singe sème le trouble au palais céleste (大闹天宫, cf première partie) qu'il va le plus loin dans cette voie. Le Roi-singe y a l'aspect d'une figure prométhéenne, aux prises avec des puissances célestes qui ont tout en réalité de légions infernales. C'est une vision hallucinée et cauchemardesque de ces affrontements que l'artiste nous donne à voir. La beauté à couper le souffle de cette fresque offre toute sa mesure au pinceau visionnaire et épique de Liu Jiyou.

C'est une figure bien plus mutine qui est mise en scène dans la série que les Editions d'art de Shanghai (上海美术出版社) ont publiée dans les années 50-60. L'oeuvre est destinée à un public enfantin. Le personnage de Zhu Bajie est d'ailleurs mis en avant. Sa bouille de goinfre, sa paresse et son caractère épais ont tout pour faire sourire ce public. Le versant imaginaire de l'oeuvre est exploité à plein, avec des figures de démons torturées à souhait et des goules aussi hideuses que possible.














Une série plus complète est celle des Editions d'art du Hebei (河北美术出版社). Commencée dans les années 50 elle donne lieu dans les années 80 à une adaptation intégrale de l'oeuvre. Certains épisodes sont signés de grands artistes, notamment Les Trois vols de l'éventail magique (三盗笆蕉扇) et Sun Wukong ravage la rivière Tongtian (大脑通天河) avec ses cohortes de démons et son ambiance de sabbat.



















Autre série non dépourvue de qualités, Le Voyage en Occident des Editions d'art du Hunan (湖南美术出版社) pèche cependant par la piètre qualité de son tirage. La beauté du graphisme de nombreux épisodes se devine plutôt qu'elle ne s'admire. Dommage, car certains livrets sont vraiment superbes.












Revenons en arrière pour évoquer deux oeuvres singulières: Le Voyage en Occident en bande dessinée (西曼游记) de Zhang Guangning et Le Roi-singe et la sorcière au squelette (孙悟空三打白骨精) de Zhao Hongben (赵洪本) et Qian Xiaodai (千笑代).

Le Voyage en Occident en bande dessinée date de 1945, c'est une oeuvre de dénonciation marquée par les tourments de la guerre mondiale. Wukong est le spectateur éberlué des atrocités qui viennent de se commettre. Les démons sont ceux, bien humains, qui les ont présidées. On y reconnaît Hitler, Hiro-Hito et Mussolini. Les teintes criardes et le trait grotesque contribuent à plonger ce pamphlet anti-guerre dans une ambiance onirique.














































Autre oeuvre marquante, Le Roi-singe et la sorcière au squelette (孙悟空三打白骨精) est un sommet esthétique signé par deux vieux routiers, Qian Xiaodai et Zhao Hongben. Cette oeuvre place l'art du lianhuanhua à son apogée et a été couronnée à juste titre lors du premier festival consacré au genre en 1963. Il semble que les deux auteurs se soient partagé le travail (c'est ainsi d'ailleurs que les artistes travaillaient dans les années 30/40), l'un se consacrant aux paysages, l'autre aux personnages. Remanié en 1972 lors de sa réédition (certains paysages ont été redessinés, beaucoup de détails ont été simplifiés) l'ouvrage n'a cependant en rien perdu de sa magie malgré ce que certains perçoivent comme un charcutage.