dimanche 25 octobre 2009
La fin de la Révolution Culturelle
Révolution Culturelle: martyrs et héros d'opéras
Le Détachement féminin rouge est l'oeuvre révolutionnaire la plus célèbre de cette époque. Sur l'île de Hainan, sous le règne du Guomindang, un groupement de combattantes va affronter de féroces propriétaires terriens et des soldats corrompus. Le graphisme est empreint d'un manichéisme volontaire. Au centre de chaque page et de chaque vignette, le héros, entouré des symboles du parti, est représenté avec un physique avantageux, au contraire des ennemis de classe, qui eux, se distinguent par leur laideur voire leur aspect quasi-animal.
L'oeuvre, d'abord un opéra révolutionnaire, est adaptée en bande dessinée par les plus importants éditeurs de lianhuanhua. Les différentes versions, qui reprennent intégralement la chorégraphie originale, se multiplient tout en respectant scrupuleusement l'orthodoxie idéologique et esthétique liée à l'oeuvre.
Couverture de la bande dessinée éditée en 1970 par les éditions de Tianjin, photo d'une représentation de l'opéra du même nom. Edition comprenant comme il se doit une préface de Mao ainsi que la partition de l'hymne révolutionnaire qui scande cet opéra.
Norman Bethune était un médecin canadien, compagnon de la Longue Marche (d'ailleurs décédé durant celle-ci), érigé en martyr de la cause. Plusieurs bandes dessinées, d'abord parues dans les années cinquante, puis à partir de 1966, lui sont consacrées. D'autres martyrs révolutionnaires deviennent les sujets exclusifs des lianhuanhuas de cette époque: Liu Hulan (jeune révolutionnaire exécutée par le Guomindang), Lei Feng (soldat et communiste modèle, encore encensé par la propagande de nos jours) , Shen Xiyou (soldat modèle également, voir post précédent). Un sous-genre se développe même: celui de l'enfant-martyr, dévoué corps et âme à la cause et au Grand Timonier, qui meurt pour le Peuple et la Révolution, le prototype étant Liu Wenxue, dont la vie (et surtout la mort), encore louées pour leur exemplarité dans certaines écoles de Chine Populaire, constituent le modèle archétypal de ces vies de martyrs enfantins de la cause. "Nous sommes les Gardes Rouges du Président Mao" dit le bandeau du deuxième livre présenté dans le post "Couvertures de la Révolution Culturelle". Le lianhuanhua, durant la Révolution Culturelle, devient un moyen d'embrigadement idéologique et un outil au service du culte de la personnalité maoïste.
Le lianhuanhua de la Révolution Culturelle
La bande dessinée chinoise de cette époque a elle aussi été entraînée dans le tourbillon révolutionnaire, et le carcan idéologique qui enfermait le lianhuanhua dans certaines limites idéologiques est devenu encore plus rigide, aboutissant à un arrêt de la production à la fin des années soixante.
Pour commencer, il existe deux périodes pour les collectionneurs: celle qui s'étend de 1966 à 1973, dite "grande Révolution Culturelle" (大文革), et celle qui va de 1973 à 1976, qualifiée de "petite Révolution Culturelle" (小文革).
Dans les faits, de nombreux dessinateurs ont été envoyés dans les campagnes après 1966, si bien que le nombre de publications a chuté de manière vertigineuse. Constitution d'ateliers collectifs avec des dessinateurs amateurs (et suppression du nom des auteurs), disparition des histoires appartenant à l'histoire antique et impériale de la Chine et obligation de ne traiter qu'un certain nombre de sujets autorisés (biographies de martyrs du maoïsme ou opéras révolutionnaires pour l'essentiel), enfin célébration jusqu'à l'écoeurement du culte de la personnalité de Mao, tels sont les changements radicaux intervenus dans la bande dessinée chinoise entre 1966 et 1970.
La page de titre de ce lianhuanhua ne mentionne aucun illustrateur: c'est seulement l'unité de production (constituée de dessinateurs non-professionnels) qui est créditée.
Chaque bande dessinée commence par une citation de Mao, ici "Je chéris ce genre de slogans: un, ne pas craindre l'effort, deux ne pas craindre la mort".
A cette époque, les couvertures respectent certaines règles: personnages arborant le Petit Livre Rouge, bandeau (rouge ou blanc, c'est selon) pour le titre. C'est le cas pour tous les ouvrages, y compris pour cette histoire enfantine tirée d'un dessin animé:
Ici, c'est un héros du communisme maoïste, Lei Feng, qui fait une apparition digne d'un arrhat ou d'un bodhisattva.
L'apparition de Mao , en tête et en clôture de l'ouvrage est systématique. Le culte de la personnalité va d'ailleurs jusqu'à la déification. Ces représentations font souvent appel, comme dans l'image ci-dessous, à des photographies officielles.
La vignette finale de ce lianhuanhua d'avril 1976 fait du Grand Timonier un soleil éclairant le prolétariat. Le culte de la personnalité à son comble, quelques mois avant la mort du dirigeant chinois (intervenue en septembre de la même année).
samedi 3 octobre 2009
Quelques mots sur Cheng Shifa
Cheng Shifa, le poète de la Chine des minorités
Maître Wang Shuhui, dessinatrice de lianhuanhua
La figure de la femme comme inspiration.Cette singularité s'affime également dans le choix de ses sujets: Wang Shuhui, femme dessinatrice dans un univers essentiellement masculin, représente principalement des personnages de femmes: héroïnes guerrières (Mulan, les veuves du clan Jiang), amoureuses bafouées dans leur passion contrariée (Le dit du Pavillon de l'Ouest, Les Paons volent vers l'est rebaptisé dans sa traduction française Les amants fidèles à leur serment, Liang Shanpo et Zhu Yingtai ou la légende des amants papillons, équivalent chinois de notre Tristan et Iseult). Cette prééminence des personnages féminins est l'autre trait distinctif de son oeuvre.
Un parcours éclectique
Artiste exigeante et perfectionniste, elle met plusieurs années pour achever cette seconde mouture du Pavillon de l’ouest, qui paraît en 1957 dans la collection des Histoires de l'opéra de Pékin (京剧故事) des Editions d’art du peuple. Inspiré d'un opéra célèbre de la dynastie Yuan, l'ouvrage raconte les amours malheureuses de Cui Yinyin et Zhang Junrui. L'oeuvre est couronnée dans les années soixante lors du premier festival de lianhuanhua de l'histoire de la jeune république. Sa réussite est telle que sa renommée dépasse le cadre de la bande dessinée, et les meilleurs maîtres contemporains du guohua se mettent alors à considérer l’auteur comme l'un des leurs. Il est d'ailleurs courant de l'appeler Monsieur (qu'il faut entendre comme Maître: 先生) Wang Shuhui dans les articles qui lui sont consacrés.
Après la longue parenthèse traumatisante de la Révolution Culturelle, il faut encore attendre quelques années pour lire les rééditions de ses oeuvres. Parallèlement à celles-ci paraissent en 1978 Les Veuves du clan Jiang (杨门女将), un de ses livres les plus achevés, qui retrace l'histoire des femmes d'un clan dont les hommes sont tous de brillants militaires. Ces guerrières, à la mort de leurs maris, réussissent à remplacer ceux-ci au combat et remportent de fulgurantes victoires. Inaugurant une nouvelle manière de l'artiste, l'oeuvre, toujours dessinée à l'encre de Chine, est dominée par un trait épuré, une alternance de pleins et de vides ainsi qu'un mouvement plus vif dans la narration. Après cette réussite Wang Shuhui se lance dans un sujet qui lui tenait à coeur depuis longtemps : un recueil autour des personnages du Rêve dans le pavillon rouge (红楼梦), roman qui figure parmi les plus grands classiques de la littérature chinoise. Dès 1957 elle en avait dessiné quelques pages mais l'oeuvre avait été perdue par la faute d'une employée de maison d'édition maladroite. Décor d'une riche demeure de la Chine impériale, personnages féminins à la complexion délicate, récit d'un amour contrarié sur fond de chronique sociale (la vie d'une riche famille dans la Chine du 18ème siècle), tous les thèmes fétiches de l'artiste sont réunis. Malheureusement, Wang Shuhui disparaît avant d'avoir achevé ce projet, dont il ne subsiste que quelques feuillets.
Auteur peu prolifique (21 oeuvres en 31 ans), Wang Shuhui a néanmoins marqué de son empreinte le lianhuanhua et lui a donné quelques-uns de ses principaux chefs-d'oeuvre.