samedi 3 octobre 2009

Maître Wang Shuhui, dessinatrice de lianhuanhua

Wang Shuhui: l'art du lianhuanhua porté à sa perfection.


Wang Shuhui s'est éteinte en 1985, laissant derrière elle une oeuvre singulière, d'abord par son esthétique, son style immédiatement reconnaissable, au trait assuré et plein, à la ligne ferme et harmonieuse, aux compositions alternant vides et pleins selon les règles de la peinture chinoise traditionnelle également appelée Guohua (国画). C'est d'ailleurs là que Wang Shuhui puise son inspiration, sans les complexes qu'ont pu connaître les auteurs de bandes dessinées occidentaux vis-à-vis de leur propre tradition artistique. Le lianhuanhua est un genre qui a joui très vite d'une certaine légitimité en Chine, recevant dès les années 30 la caution d'écrivains reconnus tels que Mao Dun et même Luxun (auteur de plusieurs articles prenant la défense du genre, et le comparant à l'art du vitrail dans les cathédrales gothiques). Dès 1950, un an après la fondation de la République Populaire de Chine, le pouvoir réunit les meilleurs artistes et leur enjoint de se lancer dans la production de lianhuanhuas à destination du peuple afin d'éduquer les masses. Quelques-uns sont autodidactes, comme He Youzhi, d'autres ont fait leur apprentissage dans les ateliers d'avant-guerre (c'est le cas de Qian Xiaodai), certains enfin ont été formés dans des écoles de beaux-arts. Wang Shuhui, elle-même diplômée de l'Institut des Beaux-Arts de Pékin, est alors une artiste expérimentée, qui exerce depuis vingt ans déjà en tant que peintre de Guohua et professeur d'arts plastiques. Malgré une production prolifique (un millier de rouleaux), elle ne retient aucune oeuvre de ces vingt années, dont les conditions matérielles difficiles lui ont imposé un travail essentiellement alimentaire.



Si les sujets contemporains (hagiographies de travailleurs héroïques, récits sur la vie rurale) ont la faveur du Parti, les auteurs de lianhuanhuas ont cependant la faculté de choisir leur matière et de se forger leur propre style graphique, loin des canons imposés par le réalisme socialiste jdanovien alors en vogue en URSS. Liberté de création (évidemment dans les limites du dogme maoïste) et indépendance matérielle (les artistes sont des salariés) expliquent l'essor qualitatif du lianhuanhua à cette époque. Pour Wang Shuhui, c'est la possibilité de produire selon son goût, de perfectionner et d'approfondir son art tout en renouant avec l'héritage du Guohua qu'elle entend faire renaître et dépasser dans le cadre de cette nouvelle bande dessinée chinoise.
La figure de la femme comme inspiration.Cette singularité s'affime également dans le choix de ses sujets: Wang Shuhui, femme dessinatrice dans un univers essentiellement masculin, représente principalement des personnages de femmes: héroïnes guerrières (Mulan, les veuves du clan Jiang), amoureuses bafouées dans leur passion contrariée (Le dit du Pavillon de l'Ouest, Les Paons volent vers l'est rebaptisé dans sa traduction française Les amants fidèles à leur serment, Liang Shanpo et Zhu Yingtai ou la légende des amants papillons, équivalent chinois de notre Tristan et Iseult). Cette prééminence des personnages féminins est l'autre trait distinctif de son oeuvre.

Un parcours éclectique

Le premier lianhuanhua signé de Wang Shuhui raconte l'histoire de Hua Mulan, la célèbre héroïne chinoise qui dut se travestir en homme afin d'éviter la conscription à son père, et qui par son génie militaire parvint à vaincre les hordes barbares aux marches de l'empire. Les deux oeuvres suivantes puisent aussi leur inspiration dans la Chine ancienne: Dame Mengjiang (孟姜女) et Mozi sauve le royaume de Song (墨子救宋) en 1951. Suivent des oeuvres de propagande, genre auquel elle sacrifie pendant trois années. L'année 1954 est particulièrement féconde en chefs-d'oeuvre: Les paons volent vers l'est (孔雀东南飞), récit d'une tragédie amoureuse, ainsi que la fameuse légende des amants papillons : Liang Shanpo et Zhu Yingtai (梁山泊与祝英台), mais surtout la première mouture (en couleur) du Pavillon de l'ouest (西厢记), oeuvre qu'elle va s'attacher à reprendre dans une version beaucoup plus longue en noir et blanc.

Le Pavillon de l'ouest (西厢记)

Artiste exigeante et perfectionniste, elle met plusieurs années pour achever cette seconde mouture du Pavillon de l’ouest, qui paraît en 1957 dans la collection des Histoires de l'opéra de Pékin (京剧故事) des Editions d’art du peuple. Inspiré d'un opéra célèbre de la dynastie Yuan, l'ouvrage raconte les amours malheureuses de Cui Yinyin et Zhang Junrui. L'oeuvre est couronnée dans les années soixante lors du premier festival de lianhuanhua de l'histoire de la jeune république. Sa réussite est telle que sa renommée dépasse le cadre de la bande dessinée, et les meilleurs maîtres contemporains du guohua se mettent alors à considérer l’auteur comme l'un des leurs. Il est d'ailleurs courant de l'appeler Monsieur (qu'il faut entendre comme Maître: 先生) Wang Shuhui dans les articles qui lui sont consacrés.

Les Cartes de la vie et de la mort (生死牌), un lianhuanhua sous le signe de l'opéra .

La dernière oeuvre de l'artiste avant la Révolution Culturelle est un livre en couleur, adapté d'un opéra classique du Hunan. Les Cartes de la vie et de la mort (生死牌), récit d'une erreur judiciaire réparée par les bons soins d'un fonctionnaire intègre, paraît en 1962, et rompt délibérément avec tout réalisme. Les décors sont à peine esquissés, et se résument parfois à un fond noir, les personnages sont ceux de l'opéra chinois dont ils portent les costumes et les masques. Les codes et la trame dramaturgique de l'oeuvre appartiennent à ce même univers. Chaque image est un tableau et le tout se situe à la frontière entre lianhuanhua et illustration. Expérience esthétique originale, et qui s'écarte des codes de la bande dessinée ainsi que des oeuvres précédentes de l'artiste, cet ouvrage constitue une tentative intéressante de renouveler un genre par un autre. C'est aussi pour Wang Shuhui une manière de renouer avec un art qui la fascine depuis l'enfance, au point qu'elle ait envisagée dans son adolescence d'en faire son métier.
Un long sommeil créatif

En 1966 éclate la Révolution culturelle, dont on pouvait ressentir dès 1964 les signes avant-coureurs sur le plan artistique. Depuis quatre ans, Wang Shuhui n'a plus rien produit à part une biographie d'ouvrière modèle commencée dans les années soixante et qui ne paraîtra qu'après sa mort, en 2001. En 1966 donc, les lianhuanhuas jugés réactionnaires ou censés offrir une présentation trop séduisante du passé impérial sont passés au pilon. En août de la même année, les librairies sont fermées. C'est le début d'un très long silence.


Après la longue parenthèse traumatisante de la Révolution Culturelle, il faut encore attendre quelques années pour lire les rééditions de ses oeuvres. Parallèlement à celles-ci paraissent en 1978 Les Veuves du clan Jiang (杨门女将), un de ses livres les plus achevés, qui retrace l'histoire des femmes d'un clan dont les hommes sont tous de brillants militaires. Ces guerrières, à la mort de leurs maris, réussissent à remplacer ceux-ci au combat et remportent de fulgurantes victoires. Inaugurant une nouvelle manière de l'artiste, l'oeuvre, toujours dessinée à l'encre de Chine, est dominée par un trait épuré, une alternance de pleins et de vides ainsi qu'un mouvement plus vif dans la narration. Après cette réussite Wang Shuhui se lance dans un sujet qui lui tenait à coeur depuis longtemps : un recueil autour des personnages du Rêve dans le pavillon rouge (红楼梦), roman qui figure parmi les plus grands classiques de la littérature chinoise. Dès 1957 elle en avait dessiné quelques pages mais l'oeuvre avait été perdue par la faute d'une employée de maison d'édition maladroite. Décor d'une riche demeure de la Chine impériale, personnages féminins à la complexion délicate, récit d'un amour contrarié sur fond de chronique sociale (la vie d'une riche famille dans la Chine du 18ème siècle), tous les thèmes fétiches de l'artiste sont réunis. Malheureusement, Wang Shuhui disparaît avant d'avoir achevé ce projet, dont il ne subsiste que quelques feuillets.
Auteur peu prolifique (21 oeuvres en 31 ans), Wang Shuhui a néanmoins marqué de son empreinte le lianhuanhua et lui a donné quelques-uns de ses principaux chefs-d'oeuvre.


Bibliographie

Malheureusement il n'existe que très peu d'ouvrages de Wang Shuhui traduits en français ou en anglais: Les amants fidèles à leur serment, Editions en langues étrangères, Pékin, 1957.Le Pavillon de l'ouest, Editions en langues étrangères, Pékin, 1958.Ces éditions sont pratiquement introuvables actuellement, même en Chine. Si vous lisez le chinois, en revanche, il est possible de se procurer ses principales oeuvres en réédition auprès des Editions d'art du peuple (人民美术出版社). En 2002 est parue une magnifique édition de luxe comprenant:Le Pavillon de l’ouest (西厢记, version de 1954 en couleur et version de 1957 à l'encre de chine),Les Amants fidèles à leurs serments (孔雀东南飞),Liang Shanpo et Zhu Yingtai (梁山泊与祝英台),Les Veuves du clan Jiang (杨门女将).Enfin, sur l'art de Wang Shuhui, un livre en chinois fournit quelques clés d’interprétation et quelques analyses intéressantes : 中国现代名家画谱,王叔晖, 人民美术出版社,2001。

Liens internet:

Un lien vers la page consacrée à Wang Shuhui sur le site des Editions d'art du peuple:


Vous pourrez y admirer quelques images tirées du Xixiangji en couleur.

Sur le site de Cartoonwin (http://www.cartoonwin.com/) vous trouverez quelques articles en chinois sur Wang Shuhui.

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