mercredi 23 septembre 2009

Le Roi-Singe (deuxième partie)

Revenons donc à l'espiègle Sun Wukong et à sa pittoresque compagnie: le moine Tang Seng, Zhu Bajie (prononcer Djou Ba Tié), porc glouton et graveleux sans oublier Sha Seng le moine Sable. Leurs pérégrinations ont inspiré de nombreux auteurs de bande dessinée chinoise. Dès les années 20 un lianhuantuhua (récit en images) met en scène les aventures du Roi-Singe. Les dessins ont les qualités et les défauts du lianhuanhua de cette période: spontanéité et fraîcheur du trait, narration parfois décousue et inspirée des codes de l'opéra, surabondance des symboles à l'attention du lecteur comme si la représentation graphique était insuffisante.



L’un des artistes qui a le mieux su tirer parti de cette oeuvre est Liu Jiyou (刘继友), selon beaucoup le père du lianhuanhua moderne. A travers trois récits tout aussi inventifs que variés il a su renouveler le thème du Roi-singe en explorant un aspect souvent occulté du personnage: la cruauté animale du héros, son absence de mesure et sa violence effrénée. Dans ces livres Wukong a l'aura d'une créature éprise de liberté et de justice, rebelle à la tyrannique hiérarchie céleste.


C'est dans Le Roi-singe sème le trouble au palais céleste (大闹天宫, cf première partie) qu'il va le plus loin dans cette voie. Le Roi-singe y a l'aspect d'une figure prométhéenne, aux prises avec des puissances célestes qui ont tout en réalité de légions infernales. C'est une vision hallucinée et cauchemardesque de ces affrontements que l'artiste nous donne à voir. La beauté à couper le souffle de cette fresque offre toute sa mesure au pinceau visionnaire et épique de Liu Jiyou.

C'est une figure bien plus mutine qui est mise en scène dans la série que les Editions d'art de Shanghai (上海美术出版社) ont publiée dans les années 50-60. L'oeuvre est destinée à un public enfantin. Le personnage de Zhu Bajie est d'ailleurs mis en avant. Sa bouille de goinfre, sa paresse et son caractère épais ont tout pour faire sourire ce public. Le versant imaginaire de l'oeuvre est exploité à plein, avec des figures de démons torturées à souhait et des goules aussi hideuses que possible.














Une série plus complète est celle des Editions d'art du Hebei (河北美术出版社). Commencée dans les années 50 elle donne lieu dans les années 80 à une adaptation intégrale de l'oeuvre. Certains épisodes sont signés de grands artistes, notamment Les Trois vols de l'éventail magique (三盗笆蕉扇) et Sun Wukong ravage la rivière Tongtian (大脑通天河) avec ses cohortes de démons et son ambiance de sabbat.



















Autre série non dépourvue de qualités, Le Voyage en Occident des Editions d'art du Hunan (湖南美术出版社) pèche cependant par la piètre qualité de son tirage. La beauté du graphisme de nombreux épisodes se devine plutôt qu'elle ne s'admire. Dommage, car certains livrets sont vraiment superbes.












Revenons en arrière pour évoquer deux oeuvres singulières: Le Voyage en Occident en bande dessinée (西曼游记) de Zhang Guangning et Le Roi-singe et la sorcière au squelette (孙悟空三打白骨精) de Zhao Hongben (赵洪本) et Qian Xiaodai (千笑代).

Le Voyage en Occident en bande dessinée date de 1945, c'est une oeuvre de dénonciation marquée par les tourments de la guerre mondiale. Wukong est le spectateur éberlué des atrocités qui viennent de se commettre. Les démons sont ceux, bien humains, qui les ont présidées. On y reconnaît Hitler, Hiro-Hito et Mussolini. Les teintes criardes et le trait grotesque contribuent à plonger ce pamphlet anti-guerre dans une ambiance onirique.














































Autre oeuvre marquante, Le Roi-singe et la sorcière au squelette (孙悟空三打白骨精) est un sommet esthétique signé par deux vieux routiers, Qian Xiaodai et Zhao Hongben. Cette oeuvre place l'art du lianhuanhua à son apogée et a été couronnée à juste titre lors du premier festival consacré au genre en 1963. Il semble que les deux auteurs se soient partagé le travail (c'est ainsi d'ailleurs que les artistes travaillaient dans les années 30/40), l'un se consacrant aux paysages, l'autre aux personnages. Remanié en 1972 lors de sa réédition (certains paysages ont été redessinés, beaucoup de détails ont été simplifiés) l'ouvrage n'a cependant en rien perdu de sa magie malgré ce que certains perçoivent comme un charcutage.
















1 commentaire:

  1. Super Article !

    J'avais trouvé en Chine une bien jolie version du Roi-Singe, visible là :

    http://vlaotchose.blogspot.com/2010/03/son-goku.html

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