mercredi 23 septembre 2009

Wang Honli


Wang Hongli, bien qu’ayant signé quelques-uns des chefs-d’œuvre de la bande dessinée chinoise, est loin de jouir de la même renommée que ses confrères He Youzhi, Dai Dunbang ou encore Wang Shuhui. Pourtant, ce maître du genre, malgré sa maigre bibliographie (si on la rapporte à sa longue période d'activité) mérite mieux que les quelques lignes que l'on trouve à son propos dans les ouvrages spécialisés.
S’il n’appartient pas à la catégorie des artistes maudits, son œuvre se situe cependant à la marge, avec une prédilection pour le fantastique et l’étrange et un trait puissant et expressif.


Originaire du nord-est, Wang Hongli (王弘力) a commencé à publier des bandes dessinées au début des années cinquante pour les Editions du Nord -Est (东北出版社) devenues par la suite l’Illustré du Liaoning (辽宁画报). Après deux récits contemporains et militants il livre un épique Zheng Chenggong (郑成功) qui relate la reconquête de Taiwan par un général de la dynastie Ming. Thème bien sûr très politique (le passé est ici une référence directe à la situation de l'île, toujours problématique à l'heure actuelle pour le pouvoir chinois) et qui offre au lecteur le frisson d'un beau récit historique. Le livre est un succès et confère à Wang Hongli une certaine renommée.
Après deux récits d'espionnage (dominés par l’obsession, présente dans les bandes dessinées des années cinquante, d'une cinquième colonne capitaliste), Wang Hongli fait paraître en 1956 son oeuvre la plus célèbre, les Quinze colliers de sapèques (十五贯) d'après un opéra de la dynastie Ming. Il s’agit d’une sorte de récit policier déguisé en drame, avec une distribution des rôles assez conventionnelle: la victime, assassinée de manière atroce, son assassin, bon à rien pervers et cupide dont les manigances, visant à faire condamner à sa place un malheureux couple, échoueront face à la sagacité et à l'obstination d'un juge intègre. Le coupable est remarquable: torturé à souhait, son physique grotesque et animalisé et sa dégaine de paysan retors en font un personnage inoubliable, jusque dans les dernières scènes où, rongé par le remords et par la peur d'être démasqué, il avoue son crime au juge. Quant à celui-ci, l’auteur, loin d’en faire un héros infaillible, le représente en homme à la fois bienveillant mais conscient de la noirceur de ses congénères. La variété des compositions introduit dans le genre un art de la mise en scène quasi expressionniste, avec des contre-plongées surprenantes, des diagonales inquiétantes, et une grande fluidité dans l’enchaînement des vignettes.




























L'oeuvre suivante, Un Mariage céleste (天仙配), parue la même année, est un récit en couleur, également inspiré d'un opéra, qui conte l'histoire d'un amour impossible entre une fée du Palais céleste et un simple mortel.





























L’attrait de Wang Hongli pour l'étrange, le fantastique et le merveilleux relève d'une véritable idiosyncrasie, nourrie aux meilleures sources de l’imaginaire chinois, telles que Les Contes du Cabinet des loisirs (聊斋) de Pu Songling (蒲松龄) qui fournissent à Wang Hongli matière à trois récits : Le Roi (王者), Rêver de loups, (梦狼) cauchemar sanglant et atroce qui se rattache au genre du conte d'horreur, et Les Taoïstes du mont Lao, (崂山道士).


































Après des débuts prolifiques, sa production s’interrompt en 1962, avec Une Expédition inhabituelle (不平常的探险旅行) toujours aux Editions d’art du Liaoning. Après cette publication s’ensuit un long silence éditorial, coïncidant avec la Révolution culturelle, période douloureuse pour les artistes et les intellectuels. En 1975, avec une participation à la série Le Conte du palais impérial de Luoyang (罗扬宫), l’auteur renoue avec la bande dessinée et la matière antique qui lui est si chère.
Wang Hongli accompagne la renaissance du genre à la fin des années soixante-dix et livre une oeuvre majeure: une biographie de Zhang Qian (张騫), héros médiéval chinois. Celui-ci, prisonnier des Mongols pendant plusieurs années, parvient pendant sa captivité à assimiler leur langue, leurs coutumes et leur connaissance profonde du désert et de ses secrets. Après s'être évadé, il rejoint l'empereur Tang à qui il révèle ses connaissances, lui permettant ainsi de repousser les envahisseurs. L’œuvre tient à la fois de la fresque et du récit d’aventure et son intérêt est dû autant à l’univers mystérieux des royaumes nomades qu’elle explore qu’à l’atmosphère méditative et initiatique qui en émane. Paysages désertiques, visages des nomades creusés par le soleil composent l’essentiel d’un récit enchanteur et dépaysant.



















J'en viens maintenant à deux oeuvres tardives: l'une est tirée du cycle romanesque Au bord de l'eau, l'autre est une extraordinaire adaptation d'un célèbre conte taoïste, Le Rêve du millet jaune.


















Un extrait de Yang Zhi vend son épée (杨志卖刀), épisode du roman Au Bord de l'eau.

Le Rêve du millet jaune (黄梁梦) est une parabole taoïste sur l'inconsistance et la vanité des honneurs et de la gloire. Le héros est un jeune lettré candidat aux examens impériaux qui, après avoir rencontré sur son chemin un taoïste, fait escale dans une auberge. Il s'assoupit et les aventures qui s’ensuivent (le menant successivement du sommet de la puissance à une déchéance humiliante) seront le produit d'un rêve dont le héros ne se réveillera qu'à la fin du récit, pour constater que la vie n'est qu'un songe vain. Ce chef-d'oeuvre est d’abord paru en feuilleton en 1988, mais n’a été édité en album que quinze ans plus tard.

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